Appelez-les «talks», «conférences» ou encore «lives». Nos écrans sont saturés d’invitations, de propositions d’échanges filmés. A tel point que l’on pourrait se lever à l’aube et organiser sa journée en fonction des différentes conférences auxquelles on nous propose d’assister, tout en planifiant un cours de gym, de yoga ou de cuisine dématérialisé histoire de se divertir. Depuis le printemps, les directs streamés structurent les journées de ceux qui travaillent et étudient, confinés à la maison. Le huis-clos imposé a entraîné une vulgarisation des pratiques numériques permettant au quidam de creuser ou de découvrir divers sujets. Et surtout d’interagir avec d’autres personnes dans un contexte où la désocialisation touche beaucoup de monde.

«J’ai bien suivi cet engouement depuis le premier confinement. Il s’agit en fait d’une accélération plutôt qu’une vulgarisation déjà en cours», souligne Stefanie Fiori, spécialiste en stratégie des réseaux sociaux et social selling (l’utilisation des réseaux sociaux dans un processus de vente). Selon elle, certains secteurs y étaient déjà bien plus habitués que d’autres. «Dans le milieu du marketing, de la communication, la pratique de talk était déjà bien engagée. Il y a eu une intensification dans les secteurs du commerce, du sport, et surtout sur les réseaux sociaux par la suite», poursuit Fiori. La coach constate d’ailleurs une augmentation des demandes de formation venant des entreprises, soucieuses de voir leurs salariés préparés aux techniques de retransmission en direct.

«Phobie sociale».Cette accélération fait le bonheur d’interfaces comme Zoom ou Microsoft Teams, qui attirent toujours plus de monde. Autre format en dynamique : le Pecha Kucha. Il synchronise une présentation orale faisant défiler 20 diapos de vingt secondes, pour un exposé de six minutes et quarante secondes. Pas plus, pas moins. Pour Thu Trinh-Bouvier, experte en communication numérique, le succès de cette interface «s’explique par une volonté des entreprises de raccourcir les présentations» et d’enterrer le bon vieux PowerPoint soporifique. «Tout est épuré, concis. Les images viennent ponctuer une présentation et reprennent un peu le concept des storys telles que nous les connaissons sur les réseaux sociaux», expose Stefanie Fiori, qui estime que les confinements ont fait gagner au moins deux ans en termes de pratique numérique collective. Un boom qui a, selon elle, facilité le recul d’une «espèce de phobie sociale». «Le fait de voir des célèbres conférenciers, comme ceux intervenant dans les TED Talks, des artistes faire des vidéos maison, parfois pas apprêtés, pas maquillés, a permis aux inconnus d’affronter leur peur ou leur réticence à l’image.» Avant de conclure : «Cette généralisation offre la possibilité à des personnes moins connues de partager leur expérience.»

Toujours plus.Fer de lance de la vulgarisation, les réseaux sociaux ne sont pas en reste. Pendant le premier confinement, Instagram a ainsi basculé du «live solo» à l’échange en «direct duo». Une pratique qui existait bien avant le printemps sur Facebook, souvent utilisé pour des talks ou des conférences numériques. Microsoft, l’autre géant du numérique, a décidé, cette année, d’occuper le terrain des conférences en direct grâce au réseau social professionnel LinkedIn. «Les gens s’approprient progressivement un certain vocabulaire visuel qui nourrit des directs qu’ils ont eux-mêmes regardés. Tout le monde peut, petit à petit, créer son contenu et y ajouter sa patte personnelle», analyse Thu Trinh-Bouvier. Si bien que nous avons tous, parmi nos contacts, une connaissance qui, sur Instagram, enchaîne régulièrement les lives avec ses invités. Des formats d’ailleurs encouragés par les plateformes afin d’inciter ses utilisateurs à consommer toujours plus de contenus. Face à cette profusion de conférences filmées, certains pointent le risque de nivellement par le bas et une baisse de qualité et d’exigence en matière d’échanges et de débats.

Balla Fofana Julien Pacaud Illustration