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Savez-vous parler émoticônes ?
Par Florence Le Mehauté
Gare au péril jaune ! Les émoticônes prolifèrent sur les écrans d’ordinateurs et de smartphones. Ils ne sont pas aussi futiles qu’ils en ont l’air.
C’est une véritable invasion. Leurs sourires, grimaces ou éclairs ponctuent les textos, mails et tweets. A la télévision, ils remplacent les visages des clients d’une célèbre chaîne de fast-food dans sa nouvelle campagne publicitaire. Certains enseignants les utilisent même pour évaluer les devoirs de leurs élèves, à la place des traditionnelles notes. Qui sont-ils ? Les émoticônes ! Une grande famille qui se divise en deux branches : les smileys, ces visages jaunes exprimant diverses émotions ; et les emojis, ces pictogrammes qui représentent toute une myriade d’activités, d’animaux, d’objets… Les ados en raffolent. Impossible pour eux de pianoter « je t’aime » sur leur téléphone portable sans l’assortir d’une ribambelle de cœurs, ou de faire un trait d’humour sans ajouter un sourire avec un clin d’œil. Et on va bientôt tous s’y mettre, car les émoticônes pourraient bien s’installer de manière durable dans nos écrits.
Émoticônes, du rire et de l’ironie
A quoi servent-ils ? Déjà, à lever une éventuelle ambiguïté. Scott Falhmann, un chercheur en informatique américain considéré comme le père des smileys, a gratifié dès le début des années 80 de les des messages qu’il envoyait à ses collègues. Objectif : leur signifier de manière rapide qu’il s’agissait de blagues. Nos ados les ont adoptés, dès l’essor de la messagerie instantanée MSN dans les années 90, pour les mêmes raisons. En plus d’être « fun », ces symboles apportent de l’émotion dans des sms et mails parfois un peu froids. « Ce sont les smileys les plus basiques (sourire, tristesse, joie…) qui se rapprochent le mieux de l’intonation et des mimiques de l’oral, explique Michel Marcoccia, chercheur en sciences du langage et enseignant à l’Université de Technologie de Troyes. Ils pallient une insuffisance de l’information écrite. » Ils précisent ainsi l’intention, introduisent de l’ironie ou adoucissent une critique. « Il fait beau aujourd’hui » n’aura pas la même signification s’il s’accompagne d’un grand sourire (« chouette, on va au parc ? »), d’une moue triste (« mes rosiers manquent d’eau ») ou d’un froncement de sourcils colérique (« M…, je suis clouée au lit »).
Les émoticônes, mieux qu’un long discours
La plupart du temps, les émoticônes servent donc de ponctuation et traduisent l’humeur de l’auteur du message. Mais – et c’est surtout vrai pour les emojis – ils peuvent aussi remplacer des mots. En Suède, une association suggère aux enfants battus d’utiliser des symboles pour dénoncer les mauvais traitements qu’ils subissent. Aux États-Unis, il suffit de poster le dessin d’un plat sur le compte Twitter de Fooji, une nouvelle chaîne de restauration, pour se le faire livrer. Alors, sushis ou pizza ce soir ? Difficile de faire plus efficace, même si l’objectif (réussi) était évidemment de faire du buzz. Pour s’amuser, on peut aussi enchaîner les dessins pour raconter une histoire ou formuler une pensée plus sophistiquée. Mais il faut un peu d’entraînement avant d’arriver au niveau de la ministre des Affaires étrangères australienne Julie Bishop, qui a répondu en février uniquement en émoticônes à une interview du site d’information Buzzfeed.
On ne peut pas sourire à n’importe qui
Comme à l’époque de Scott Fahlmann, les smileys s’invitent aujourd’hui jusque dans les mails professionnels. Toutefois, mieux vaut y réfléchir à deux fois avant d’envoyer une demande de congés à son chef accompagnée d’un grand sourire et d’un bikini. « Les émoticônes jouent sur la connivence, assure Thu Trinh Bouvier, auteur de Parlez-vous Pic Speech ? (Le langage des pictogrammes) et responsable des nouveaux médias chez Vivendi. Mais ils peuvent agacer voire paraître très cavaliers. » Bref, on trie ses destinataires sur le volet. Et on s’assure qu’ils parlent bien la même « langue » que nous. En Russie, un soleil ne signifie pas seulement « il fait beau » mais plus spécifiquement « on va à la plage ». Chez nous, quand un adolescent utilise le symbole « plat de nouilles fumantes », cela veut dire qu’il a faim, pas qu’il a envie de pâtes. Pire. D’un logiciel à l’autre, les traductions peuvent prêter à confusion. Tel smiley qui suggère plutôt la grimace et la douleur sur les iPhone ressemble plus à un signe de colère sur les écrans des téléphones Samsung. Autant le savoir, même si on ne peut pas y faire grand-chose…
Émoticônes, on se lance !
Il n’y a pas d’âge pour s’initier. Pour être dans le coup, comprendre les textos de ses petits-enfants. Ou s’amuser, comme Anita, 60 ans, responsable d’une agence de communication dans la mode et la beauté. « Quand j’ai acheté un iPhone, il y a quatre ans, je m’y suis mise pour communiquer avec mes enfants, ma petite-fille, mes copines, confie-t-elle. C’est rigolo, ça égaye les SMS, on peut même faire des frises. » C’est d’autant plus facile que la plupart des smartphones et systèmes de messageries intègrent des catalogues de symboles. Il suffit de cliquer dessus pour les insérer. Et leur usage risque fort de se généraliser. Selon Michel Marcoccia, « les smileys basiques finiront sans doute par rentrer dans les manuels de grammaire, tant ils sont complémentaires de l’écrit. » En revanche, les emojis, plus complexes, ne feront peut-être pas si long feu. « Dès qu’un mode d’expression est repris par les adultes, les jeunes générations trouvent généralement de nouveaux codes pour communiquer entre eux », pronostique Thu Trin Bouvier. Pas besoin d’apprendre par cœur Emojipedia – le grand dictionnaire en ligne des emojis (disponible uniquement en anglais) – donc. Sauf si ça vous fait vraiment plaisir